La malédiction des créateurs (1/8)
Laisse-moi deviner…
Je suis sûr que tu connais au moins un créateur dont tu étais complètement FAN pendant toute une période…
Tu dévorais chacun de ses mails sans en louper une miette…
Tu trépignais d’impatience en attendant sa prochaine vidéo, et tu mettais toute ta vie sur pause pour la regarder à la seconde où la notification arrivait…
Mais peu à peu ?
Ce créateur que tu avais connu tout petit est devenu de plus en plus gros (je parle d’audience hein, pas de ses poignées d’amour !)
Et il s’est mis à changer.
Complètement.
Ce qui te plaisait tant chez lui, dans son message, dans sa personnalité, dans sa philosophie, qui le rendait tellement unique et attrayant à tes yeux…
Ses idées et ses conseils originaux, pertinents, à des années-lumière des portes ouvertes enfoncées par les autres créateurs…
Cette approche si différente et polarisante qu’il avait, qui te donnait le sentiment d’appartenir à un petit groupe impénétrable de « vrais »…
… tout ça s’est peu à peu estompé.
À mesure que son nombre d’abonnés a grossi, il s’est affadi.
Il a perdu cette vulnérabilité qui le caractérisait, d’oser faire les choses à sa façon, authentique et imparfaite, sans se soucier du reste du monde.
Il est devenu comme les autres.
S’est mis à se cacher derrière le même masque qu’eux.
À copier leurs codes et leurs méthodes.
Avant ?
Il faisait ce qu’il aimait, et ce pour quoi il était bon.
Il était aligné, il s’éclatait, il était là où il devait être.
Ça se ressentait.
Mais maintenant, il fait juste ce qui marche.
Du moins pour les autres.
Mais chez lui ça sonne faux, surtout pour toi qui sait qui il est réellement.
Alors petit à petit, tu t’es détaché. La connexion si forte qui te liait à lui s’est rompue.
Tu continues à jeter un œil de temps en temps à ce qu’il fait, mais c’est de plus en plus rare parce que tu ne te sens plus attiré par son nouvel univers.
Bref, tu es passé à autre chose.
Cette histoire ?
C’est une mise en garde pour nous, créateurs, contre certains pièges dans lesquels on risque de tomber lorsqu’on veut franchir des paliers et atteindre des niveaux supérieurs…
En voici quatre :
1. Sortir de son sweet spot pour faire « ce qui marche » auprès de la masse
Ton sweet spot, c’est le croisement entre trois choses : ce dont ton audience a besoin, ce pour quoi tu es bon, et ce que tes concurrents ne savent pas faire / ne font pas.
C’est ce positionnement unique qui te rend remarquable comme un nain en NBA, et magnétique comme une bimbo moscovite.
Si tu te mets à faire du mainstream dans l’espoir d’attirer plus de monde, tu risques de t’éloigner de ce truc-là, et donc de perdre ce qui te rendait attirant pour tes vrais fans.
Par exemple ?
C’est ce rappeur hardcore qui se met à faire de la musique pour midinettes.
Quand il parlait de violence, de drogue et de fesses, avec une voix brute et dure sur une instru sombre…
… c’était hyper polarisant. Complètement repoussant pour la majorité de la population qui se demande encore quels barbares peuvent bien écouter ça.
Mais pourtant, c’était lui.
Le vrai.
Il était aligné.
En plein dans son sweet spot.
Et c’est précisément ça qui le rendait attirant comme personne d’autre pour la minorité qui se retrouvait dans son univers : ses superfans.
Quand il s’est mis à la zumba, parce que c’est « ce qui marche », pour toucher la masse ?
Il s’est désaligné.
Ce n’était plus lui.
Il est sorti de son sweet spot.
Et le pire, c’est qu’il est en pleine illusion :
En étant plus mainstream, il a rapidement commencé à toucher plus de monde. Alors il se dit que c’est la bonne chose à faire et il continue.
Mais ce qu’il ne voit pas, c’est que d’un côté il perd progressivement la connexion qu’il avait avec sa vraie fan base…
… et que de l’autre, les midinettes qu’il attire à présent sont par définition infidèles. Elles le remplaceront sans hésiter pour la dernière tendance, la prochaine Wejdene.
(pour ça que les artistes que j’appelle « à midinettes » font rarement de longues carrières. Ils sont balayés par les nouvelles vagues et repartent dans l’ombre aussi vite qu’ils en sont sortis. À l’exception de ceux qui sont capables de s’adapter et de se réinventer à chaque tendance, ce qui est loin d’être à la portée de tout le monde)
Comme souvent ici ?
Ce qui semble être une bonne décision à court terme se révèle être une mauvaise décision à long terme.
Ce sont tes vrais fans qui te feront vivre à long terme, te soutiendront fidèlement, feront ta promo autour d’eux et achèteront tes produits.
C’est donc beaucoup plus pertinent de te concentrer sur ton sweet spot afin d’enrichir encore davantage ta relation avec eux, plutôt que de travestir ton identité pour attirer la masse.
Est-ce que ça veut dire qu’il faut faire la même chose éternellement sans jamais se réinventer ?
Bien sûr que non.
Mais tu peux trouver des manières de te réinventer tout en restant dans ton sweet spot, sans faire de compromis pour la masse.
En restant qui tu es.
En faisant ce que tu aimes, ce pour quoi tu es bon et qui a attiré tes fans à toi.
Pas juste « ce qui marche ».
Tes concurrents sont déjà là pour faire « ce qui marche », le monde n’a pas besoin de toi pour ça.
Ce qui nous mène au second piège…
2. Devenir une commodité
Quand tu te mets à faire comme les autres parce que ça semble marcher pour eux…
… tu te retrouves en concurrence avec eux.
Celui qui fait ce que tout le monde fait est en concurrence avec tout le monde : c’est une commodité.
Celui qui fait ce que personne ne fait n’a pas de concurrence (directe du moins) : il est unique.
Quand tu es une commodité ?
Tu es interchangeable, invisible, et tu joues à la guerre des prix avec tes concurrents.
Tu es price taker : ce n’est pas toi qui fixe les règles, tu t’y soumets.
À l’inverse, en étant et en restant unique, tu es irremplaçable, remarquable, et tu fixes tes prix comme tu l’entends.
Tu es price maker : c’est toi qui a le contrôle.
Tout ça ?
C’est on ne peut plus simple à comprendre (tu le sais déjà), et pourtant tellement dur à appliquer.
Déjà parce que par définition, ce que personne ne fait n’existe pas. Et qu’il faut une bonne dose de créativité et de vision pour concevoir de toutes pièces quelque chose qui n’a pas encore de matérialité.
Aussi et surtout, parce qu’aller où personne ne va…
Zaguer quand tout le monde zig…
… ça demande du courage.
Ça fait peur.
C’est beaucoup plus confortable de jouer au même jeu que les autres, avec les règles, les stratégies et les méthodes qu’ils ont déjà testées et éprouvées pour nous.
De cette façon, on a l’impression de ne pas prendre de risque.
Et pourtant souviens-toi de ce que nous dit Seth Godin : « Safe is risky », autrement dit le plus gros risque est de n’en prendre aucun.
En voulant grossir, ne tombe pas dans le piège de devenir juste « encore un », c’est-à-dire une autre commodité médiocre pour la masse.
Personne n’a besoin de toi pour faire ce que tout le monde fait déjà.
Tes fans ont été attirés par ce qui était différent chez toi, et c’est cette unicité que tu veux continuer de développer.
Pour ça, il y a une pilule un peu dur à avaler :
La plupart des gens n’en auront jamais rien à foutre de ce que tu fais.
Et tu sais quoi ?
C’est justement pour cette raison que tu devrais continuer de le faire.
Je te laisse méditer là-dessus.
Dans le mail de demain, je te parlerai des deux autres pièges : perdre son authenticité en voulant trop en faire, et trahir les valeurs de sa marque.
— Jean-loup